Dans la Physique d’Aristote, la définition du temps comme nombre nombré du mouvement exprime une dépendance ontologique unilatérale du temps par rapport au mouvement. En effet, le temps est quelque chose du mouvement et n’existerait pas sans lui ; plus précisément, ajoute Aristote, il est l’évaluation de la durée s’étendant entre deux états pris comme début et fin d’un certain mouvement (chapitre 11, 219a 22-30). Or, cette évaluation d’une quantité s’exprime à l’aide des nombres arithmétiques, et c’est pourquoi elle est un nombre nombré par un nombre nombrant. (…) Il faut dès lors chercher à expliquer pourquoi, au chapitre 12, 220b 14-32, les rôles de déterminant et de déterminé, de mesure et de mesuré, de nombre et de nombré, sont considérés comme réciproques entre le temps et le mouvement, et même entre le mouvement et la grandeur. [Lire l'article]
Publié dans : Aristote et la pensée du temps. Sous la direction de Jean-François Balaudé et Francis Wolff, Université Paris X-Nanterre, 2005, p. 63-78.
Il n’y a chez Aristote ni théorie de l’intentionnalité comme telle, ni même usage précurseur du mot ou du concept. Et pourtant, sa conception des fonctions de l’âme est au plus haut point intentionnelle, au sens où Husserl définit l’intentionnalité comme « cette particularité foncière et générale qu’a la conscience d’être conscience de quelque chose, de porter, en sa qualité de cogito, son cogitatum en elle-même ». En effet, chez Aristote, le cogito est d’une certaine manière le cogitatum — et j’entends « cogito » au sens large de « avoir conscience de quelque chose, quelque chose par exemple que j’éprouve, ou que je pense, ou que je sens, ou que je veux ». [Lire l'article]
Publié dans : Questions sur l’intentionnalité, édité par L. Couloubaritsis et A. Mazzu, Bruxelles, Ousia, 2007, p. 13-30.
L’intention du phénoménologue est de mettre en évidence le rôle du monde environnant comme substitut d’un regard au sens propre, comme face-à-face inanimé suffisant pour révéler les aspects cachés d’un objet, de sorte que s’instaure une collaboration entre les choses, le corps propre et la conscience percevante, et que l’extériorité cesse d’être étrangeté pour se manifester comme un semblable, comme un allié dans l’exploration. Si l’on admet cette explication, un « regard des choses » n’existe que sur le mode du « comme si », par projection sur les choses d’un pouvoir du corps propre, qui fonde la perception davantage sur sa différence que sur son identité avec le monde. (...) S’il n’y a donc là qu’une métaphore, les principaux jalons de l’ontologie traditionnelle sont maintenus : temps et espace continus, sujets et objets distingués par la perception effective des uns, fictive des autres. [Lire l'article]
Publié dans : Les Études Philosophiques, 2002/3, p. 317-331.
Pour une partie des interprètes modernes, les « catégories » sont considérées d’abord comme des classes de réalités, pour d’autres comme des classes de prédicats, pour certains comme des classifications des sens du verbe être ou de la copule. (...) Je prendrai pour point de départ les deux passages où les « catégories » sont présentées explicitement, l’un se trouvant dans le traité des Catégories et l’autre dans les Topiques, pour proposer à la fois une distinction et une relation entre les niveaux logique et ontologique (ce dernier terme devant être compris ici au sens de « concernant les étants »). Ensuite, j’essaierai de montrer qu’en revanche les catégories n’interviennent que secondairement dans la distinction des significations du verbe « être ». [Lire l'article]
Publié dans : La théorie des catégories : entre logique et ontologie, éd. A. Dewalque, B. Leclercq et D. Seron, Liège, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, 2011, p. 15-23.
La physique est la science qui étudie le domaine des étants naturels, c’est-à-dire des corps « qui possèdent en eux-mêmes le principe du mouvement et du repos », en vertu d’une « tendance innée ». Le mot « nature » (physis) désigne cette tendance interne, qu’Aristote appelle « principe », c’est-à-dire condition de possibilité de l’existence ou du devenir d’une chose. La science physique concerne donc l’ensemble des corps, vivants et non vivants, en tant qu’ils sont susceptibles, sous l’effet d’une impulsion qui leur est immanente, de l’un des changements suivants : génération et périssement, altération, croissance et décroissance, déplacement. [Lire l'article]
Publié dans : Lire Aristote, édité par E. Berti & M. Crubellier, Paris, PUF, 2016, p. 83-90.
Le propos de cet article est de montrer que la science de l’être en tant qu’être, telle qu’Aristote la présente dans le livre G de la Métaphysique (et, dans une moindre mesure, dans le livre E), est une ontologie d’un type radicalement nouveau pour son époque et dont les traits principaux sont toujours pertinents pour une recherche ontologique actuelle. (...) Pour mieux comprendre le statut et l’objet de cette science nouvelle, je vais parcourir les deux premiers chapitres du livre G en les découpant suivant les arguments successifs qui y sont avancés pour justifier l’enquête. Ce faisant, je rencontrerai aussi la détermination de cette autre science qu’Aristote appelle la philosophie première, ce qui me mènera au cœur de la controverse la plus tenace autour du livre G, celle qui oppose les tenants respectifs de la distinction ou de l’identification des deux sciences. [Lire l'article]
Publié dans : Aristote. Métaphysique Gamma. Introduction, texte grec et traduction par M. Hecquet-Devienne ; onze études réunies par A. Stevens, Louvain, Peeters, 2008, p. 267-286.
Nous disposons de trois passages dans lesquels Aristote établit une distinction entre la physique et la philosophie première en raison de leur étude différente de la forme ou du principe formel. Cependant, les trois textes étant laconiques et plutôt obscurs, il n’est pas simple de savoir si les deux sciences sont dites étudier un type de forme différent ou bien les mêmes formes mais selon un point de vue ou un aspect différent, qui reste à définir. En outre, ces passages sont d’autant plus mystérieux que, lors des rares autres occasions où Aristote définit la tâche de la philosophie première, il la caractérise clairement par son objet, celui-ci étant, de manière plus ou moins explicite selon les cas, la substance éternelle et immobile qui meut les sphères célestes. [Lire l'article]
Publié dans : Nature et sagesse. Les rapports entre physique et métaphysique dans la tradition aristotélicienne, éd. C. Cerami, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2014, p. 51-69.
Un des débats les plus nourris ces dernières années sur la question de la causalité est celui qui concerne le type de causalité qu’il faut accorder au premier moteur de l’univers, en particulier s’il faut considérer celui-ci comme la cause efficiente du mouvement du ciel ou comme sa cause finale. Je voudrais apporter une contribution à cette recherche en montrant qu’une comparaison entre la description de l’intellect cosmique en Métaphysique Lambda et la théorie générale de l’intellect développée dans le traité De l’âme rend très invraisemblable l’hypothèse de la causalité finale, et proposer une interprétation alternative qui serait davantage compatible avec l’ensemble des passages consacrés à la question. [Lire l'article]
Publié dans : La causalité chez Aristote, Textes réunis et publiés par L. Couloubaritsis et S. Delcomminette, Paris/Bruxelles, Vrin/Ousia, Collection Études aristotéliciennes, 2011, p. 125-137.
Une des questions les plus présentes dans la philosophie contemporaine est celle de la conscience que nous avons de notre propre existence, ou le fait que notre propre existence fait question pour nous. Or, cette question n’apparaît pas tout de suite dans la philosophie occidentale naissante ; on ne la trouve pas encore explicitement formulée chez Platon : dans l’Alcibiade, il est bien question de prendre conscience de ce que nous sommes, mais nulle part n’est interrogée l’évidence que nous sommes. Cette évidence, qui est celle de la conscience ordinaire, est pour la première fois formulée explicitement comme telle par Aristote, dans deux contextes différents où elle sert de prémisse non interrogée dans un raisonnement démonstratif. Dans les deux cas, la conscience d’exister est présentée comme dépendante de la conscience de sentir ; c’est pourquoi il faut commencer par examiner comment Aristote entreprend de définir celle-ci... [Lire l'article]
Publié dans : Ancient perspectives on Aristotle’s De Anima, édité par G. Van Riel & P. Destrée, Leuven University Press, 2009, p. 35-48.
Dans la psychologie d’Aristote, l’image, produite par la phantasia à partir de la sensation, est présentée comme nécessaire à la pensée de deux manières, à deux étapes différentes du processus cognitif. La première de ces étapes est le processus de constitution des notions générales par l’induction, la deuxième est la pensée d’une notion déjà constituée. (...) L’image doit-elle être comprise comme une véritable condition de possibilité de l’acte de penser ou bien comme un simple accompagnement de celui-ci ? Notre expérience de la pensée confirme-t-elle le type de dépendance qu’Aristote a mise en évidence ? [Lire l'article]
Publié dans : La psychologie d’Aristote, édité par Cristina Rossitto, Paris/Bruxelles, Vrin/Ousia, Collection Études aristotéliciennes », 2012.
La notion de courage dans la philosophie pratique d’Aristote couvre un champ assez limité et ne permet pas d’envisager en général les conditions de l’action ; on pourrait donc estimer qu’il n’est pas très utile de s’en enquérir. Cependant, les conditions de l’action examinées dans la philosophie actuelle à partir de la notion de courage étaient pensées par lui, sous d’autres termes, d’une manière qui se révèle toujours pertinente pour éclairer certaines questions et déboucher sur des propositions pratiques stimulantes. (...) Qu’est-ce qui fait qu’on agit ou non selon ce qu’on pense devoir faire ? La disposition générale à agir conformément aux valeurs est pour Aristote l’excellence éthique en général, c’est-à-dire l’excellence du caractère (êthos). Elle résulte d’un choix, commencé dès la petite enfance et renouvelé tout au long de la vie, selon lequel l’individu se forge lui-même, de son plein gré, un certain caractère. [Lire l'article]
Publié dans : Dissensus. Revue de philosophie politique de l’ULg, n°2, 2009, p. 55-64.
Partant du principe qu’il n’y a pas de naissance à partir de rien, Mélissos en déduit que quelque chose doit exister depuis toujours, et ne peut être augmenté d’aucune autre chose, car celle-ci serait à son tour surgie de rien. Etant ainsi éternel, ce quelque chose n’a ni commencement ni fin mais est illimité ; or, s’il est illimité, il doit être unique, car sinon il serait limité par rapport à autre chose ; enfin, s’il est unique, il doit être homogène et immuable, car le discontinu et le changement impliquent la pluralité. Ces déductions en cascade sont logiquement dépendantes de l’hypothèse de l’être : si quelque chose est, ce doit être nécessairement tel et tel ; mais ontologiquement elles sont conditions de son affirmation et même de la définition du concept d’être. (...) Par la réfutation des théories adverses, Zénon appuie la conception parménidienne et mélisséenne d’un espace symbolique, presque métaphorique, qui révèle et qui fonde le statut ontologique exclusif de l’étant. [Lire l'article]
Publié dans : Symboliques et dynamiques de l’espace. Textes réunis par J. Dokic, Ph. Drieux, R. Lefèbvre, Publications de l’Université de Rouen, 2003, pp. 7-14.